Les dark patterns (ou deceptive design), sont des techniques de design volontairement manipulatrices qui exploitent la psychologie humaine pour influencer les décisions des utilisateurs. Ces tactiques exploitent les biais cognitifs et la tendance naturelle du cerveau humain à éviter les efforts inutiles, piégeant les utilisateurs de manière invisible mais puissante.
Plutôt que de guider l’utilisateur vers des choix éclairés, les dark patterns induisent subtilement en erreur, souvent en masquant des informations importantes ou en rendant les choix confus.
Les différents types de dark patterns
Le terme « dark pattern » a été inventé par Harry Brignull en 2010, une période marquée par l’essor du commerce en ligne. Il a créé le site www.deceptive.design pour dénoncer ces pratiques et sensibiliser les utilisateurs. À l’époque, il avait identifié 11 types de dark patterns, mais depuis, 16 sont recensés sur le site :
- Bait and switch : Promettre une action mais en livrer une autre, souvent moins avantageuse, comme un bouton “Fermer” qui mène en réalité à une inscription.
- Disguised ads : Masquer des publicités en contenu éditorial ou en faux boutons, trompant l’utilisateur pour qu’il clique par erreur.
- Forced continuity : Rendre difficile la résiliation d’un abonnement, piégeant l’utilisateur dans des paiements non désirés.
- Friend spam : Utiliser le carnet d’adresses de l’utilisateur pour envoyer des invitations ou des messages sans consentement clair.
- Hidden costs : Ajouter des frais inattendus à la dernière étape du paiement, poussant l’utilisateur à continuer malgré les coûts supplémentaires.
- Misdirection : Détourner l’attention de l’utilisateur vers une action non souhaitée, comme masquer le bouton “Non, merci” dans une interface.
- Comparison prevention : Empêcher ou compliquer la comparaison de prix pour forcer l’utilisateur à choisir une option plutôt qu’une autre.
deceptive.design – Dans cet exemple, un lien caché au bas de cette page d’un grand groupe de télécommunication, indique « Forfait au prix le plus bas » (Lowest priced plan). Contrairement aux autres forfaits, aucun prix ni aucune information n’est affichée pour ce plan.
- Privacy zuckering : Manipuler l’utilisateur pour qu’il partage plus de données personnelles, souvent en cachant les réglages de confidentialité.
- Roach Motel : Faciliter l’entrée dans un processus (inscription, abonnement) mais compliquer la sortie (désabonnement difficile).
- Sneak into basket : Ajouter des articles ou des services au panier sans que l’utilisateur ne le demande, nécessitant une action pour les retirer.
- Trick questions : Poser des questions ambiguës pour tromper l’utilisateur et l’amener à choisir une option qu’il ne souhaite pas.
Facebook.com – Ici pour retirer une information de son profil, on aurait tendance à cliquer sur le bouton bleu pour valider ce choix. Or c’est le bouton blanc « Confirmer » qui valide l’action.
- Confirmshaming : Utiliser la culpabilité pour pousser l’utilisateur à accepter une offre, comme “Non, je préfère payer plus cher”.
- Sneaking : Cacher des informations ou ajouter des charges sans le consentement explicite de l’utilisateur.
- Urgency : Créer un faux sentiment d’urgence (ex. : “offre limitée”, “seulement 1 en stock”) pour presser l’utilisateur à prendre une décision immédiate.
deceptive.design – Ici, on presse l’utilisateur en indiquant la date de fin de l’offre avec un compte à rebours.
- Scarcity : Simuler une rareté artificielle pour inciter à l’achat immédiat, comme afficher de faux stocks limités.
- Obstruction : Rendre des actions indésirables plus compliquées que nécessaire, comme devoir passer par plusieurs étapes pour se désabonner ou refuser une offre.
Ces dark patterns évoluent constamment, de nouveaux types apparaissent régulièrement sans être forcément recensés, et ils peuvent même être combinés entre eux pour créer des manipulations encore plus subtiles et difficiles à détecter.
Mais pourquoi les dark patterns fonctionnent-ils ?
Les dark patterns s’appuient sur des biais cognitifs et des faiblesses du cerveau humain. Le cerveau humain est paresseux et est toujours en quête de solutions faciles et rapides, rendant les utilisateurs vulnérables. Par exemple, les recommandations comme “le plus populaire” exploitent le biais de conformité, influençant l’utilisateur par la pression sociale et l’envie de ne pas aller à l’encontre de ce qui est perçu comme un choix populaire ou recommandé.
De même, les pénuries artificielles telles que “Plus que 2 articles en stock !” tirent parti du biais de rareté pour créer une pression d’achat immédiate. Pressés et souvent distraits, les utilisateurs tombent facilement dans ces pièges puissants.
Netflix et Amazon : quand les géants du web vous manipulent aussi
Les dark patterns sont omniprésents et se retrouvent même dans les pratiques des plus grandes entreprises, souvent sans que les utilisateurs en soient pleinement conscients. Netflix, par exemple, utilise des techniques subtiles pour capter l’attention et orienter les choix de ses abonnés sans qu’ils s’en rendent compte. Il existe plusieurs miniatures pour une même série ou film. Elles changent en fonction des préférences de chaque utilisateur, influençant subtilement ses décisions de visionnage. Si vous avez regardé des séries dans la catégorie épouvante /horreur, les vignettes les plus sombres de Stranger Things, vous seront certainement proposées.
Amazon emploie également des stratégies similaires en jouant sur le sentiment d’urgence avec des stocks limités affichés, qui ne reflètent pas toujours la réalité, poussant ainsi à des achats impulsifs.
L’absurdité des clauses cachées
Certaines entreprises vont encore plus loin, insérant des clauses absurdes dans leurs conditions générales d’utilisation pour tester l’attention (ou plutôt l’inattention) des utilisateurs. Un exemple frappant est celui de GameStation en 2010, qui a ajouté une clause stipulant que les utilisateurs cédaient leur âme en acceptant les termes, et près de 7 500 personnes ont validé sans même lire.
Dans un autre cas, une société de logiciels antivirus, PC Pitstop, a caché dans ses conditions une clause promettant 1 000 $ à la première personne qui la découvrirait. Il a fallu quatre mois et plus de 3 000 téléchargements avant qu’un utilisateur attentif ne réclame la récompense, prouvant que même les offres les plus loufoques et avantageuses peuvent passer inaperçues dans l’océan des CGU.
Et les sanctions dans tout ça ? Que dit la loi ?
Face à la montée de ces pratiques trompeuses, plusieurs régulations ont été mises en place pour protéger les consommateurs. En France, la DGCCRF stipule que les pratiques commerciales déloyales, abusives, ou trompeuses peuvent être sanctionnées par :
- Une amende de 300 000 euros et deux ans d’emprisonnement pour une personne physique.
- Une amende pouvant atteindre 1,5 million d’euros pour une personne morale.
- Jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires annuel pour les infractions graves.
Comment les utilisateurs peuvent-ils se protéger et comment les designers peuvent les aider ?
Pour éviter de tomber dans les pièges des dark patterns, il est essentiel de prendre quelques précautions simples mais efficaces. Même si elles peuvent sembler fastidieuses, lire attentivement les conditions générales d’utilisation permet d’éviter des engagements indésirables. Il suffit de scruter les points clés pour repérer d’éventuelles clauses abusives.
Ensuite, il est important de vérifier régulièrement les paramètres de confidentialité de ses comptes et de refuser les cookies non essentiels, afin de mieux protéger ses données personnelles.
Enfin, il est crucial de prendre son temps avant de prendre une décision : ne vous laissez pas emporter par l’urgence artificielle ou les recommandations trompeuses, comparez les prix et lisez les avis externes pour faire des choix éclairés.
Pour concevoir des interfaces respectueuses des utilisateurs, il est essentiel d’adopter des pratiques concrètes et éthiques centrées sur leurs besoins. Par exemple, utiliser des libellés clairs sur les boutons d’action, comme « Accepter » et « Refuser » au lieu de formulations ambiguës, permet de rendre les choix transparents. Auditer régulièrement les interfaces pour détecter des dark patterns comme les cases pré-cochées ou les chemins de désabonnement complexes est également crucial. Cela aide à corriger les manipulations invisibles qui se glissent parfois dans les designs.
De plus, favoriser la transparence en affichant clairement les informations sur les frais supplémentaires dès le début du processus d’achat ou en expliquant comment les données des utilisateurs seront utilisées renforce la confiance et l’expérience utilisateur.
L’avenir des dark patterns : vers un design plus étique ?
Avec l’évolution des régulations comme le Digital Services Act et le RGPD, la pression monte pour que les entreprises se conforment à des standards plus éthiques. Les dark patterns risquent de devenir obsolètes face à la vigilance accrue des utilisateurs et des régulateurs.
Les dark patterns posent un défi majeur pour l’éthique du design numérique. Bien qu’ils puissent sembler profitables à court terme, ils sapent la confiance des utilisateurs et exposent les entreprises à des risques juridiques. Comme le souligne Jared Spool, expert en UX : « Le design n’est pas seulement comment quelque chose paraît, mais comment cela fonctionne […] et s’il fonctionne en trompant, il est voué à l’échec. ».
Pour un avenir numérique plus sain, il est crucial de concevoir des interfaces honnêtes, transparentes et centrées sur les besoins des utilisateurs.
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